Rechercher dans ce blog

jeudi 31 mars 2011

Un monde vulnérable - Pour une politique du "care" (Joan Tronto, paru en 1993, traduit en français en 2009)

On trouvera ici les propositions issues de ce texte.

Le point de départ de Joan Tronto est le livre de Carole Gilligan, "Une voix différente", paru en 1982. Après dix ans de discussions, elle fait le point sur l'éthique du "care" en mettant l'accent sur sa dimension politique. Alors que Gilligan avait choisi comme sous-titre de son livre "Pour une éthique du "care", Tronto choisit : Pour une politique du "care". Mais il serait simplificateur de dire qu'entre l'une et l'autre, on passe de l'éthique à la politique, car Tronto se donne pour objectif de "déplacer les frontières" entre morale et politique. Une large partie de son livre traite de morale, et l'un de ses objectifs revendiqués est de réduire autant que possible l'écart entre morale et politique.

Les hommes ne sont pas des individus séparés et indépendants. Au coeur de leur vie se trouvent des besoins corporels qu'il faut satisfaire, et que les privilégiés transfèrent à des personnels de service invisibles dans le champ politique, car leurs professions sont dévalorisées et les catégories auxquelles ils appartiennent (femmes, Noirs) sous-représentées dans la vie politique. Pour rétablir une certaine équité, la conception traditionnelle de la justice ne suffit pas. Il faut un supplément qui tienne compte de la vulnérabilité des êtres humains et de ses conséquences pour le fonctionnement des sociétés pluralistes et démocratiques.

Prendre le "care" au sérieux, c'est reconnaître que les éléments qui le composent concernent tout le monde et pas seulement les femmes et les services sociaux : l'attention à l'autre, la responsabilité à l'égard d'autrui, la volonté de résoudre les problèmes dans le concret, l'écoute des bénéficiaires et la prise en considération de leur point de vue.

Le "care" ne se contente pas d'une morale abstraite de type kantien qui ignore les inégalités réelles. Il demande : "Qui s'occupe de qui?" et tient à ce qu'on agisse en fonction d'un contexte concret, pour maintenir, perpétuer et réparer le monde.


mercredi 23 mars 2011

La Condition de l'homme moderne (Hannah Arendt, 1958)

On trouvera sur cette page les propositions associées à l'analyse de ce livre, prémonitoire s'il en est. Comment le présenter? On peut suivre l'ordre retenu par Hannah Arendt. On dira alors que la vie sur terre (Vita activa) est donnée à l'homme sous trois modes : le travail, l'oeuvre et l'action. Alors que dans la cité antique, le travail était rejeté dans la sphère privée tandis que la parole publique et son corrélat, l'action, étaient valorisées, aujourd'hui c'est l'inverse. La vie tend à se réduire au processus vital, c'est-à-dire (pour l'homme) au cycle production / consommation / loisirs (animal laborans), organisé dans une société normative. La production de ces artefacts humains que sont les oeuvres (homo faber) tend à se subordonner, elle aussi, au travail. Cette confusion entre deux notions étymologiquement distinctes détruit finalement le monde humain, à l'exception de certaines activités marginales comme l'art ou la pensée.

Mais on peut aussi le présenter autrement.

- Qu'est-ce qui compte dans la vie? L'action singulière d'un individu unique, différent de tous les autres et capable, par sa parole, d'amener sur terre du nouveau, de l'imprévisible, de forcer les limitations et de franchir les bornes, de contribuer à la fabrication d'un monde commun, que ce soit dans le domaine politique ou ailleurs. Bien sûr, ces actions sont risquées. Elles déclenchent des processus irréversibles dont on ne connaît pas les conséquences, et dont on ne peut limiter l'imprévisibilité que par le pardon (effacer ce qui a été fait) et la promesse (poser des jalons dans l'avenir). Mais après tout, n'y a-t-il pas un risque à penser? Et est-ce que cela ne nous conduit pas à sortir hors de nous?

- Quelle serait la plus grande erreur? Être réduit à l'automaticité d'un fonctionnement social quasiment machinique, celui du processus vital induit par la mise en pratique instantanée des inventions scientifiques et techniques. C'est bien ce qui se produit aujourd'hui avec l'utilitarisme, la division du travail et l'égalité modernes. Les forces naturelles, aveugles, pénètrent directement dans le monde humain et détruisent sa productivité spécifique. L'"energeia" du domaine public ne se distingue plus de l'économie privée. Plus on respecte les normes de comportement, plus on s'isole, moins les objets qu'on fabrique sont durables.

- Que peut-on encore faire? Après tout, il n'est pas impossible de se remettre à faire ce que l'homo faber a toujours fait : des oeuvres. Les arracher à la nature par un acte violent, réifier le matériau, le rendre durable, s'en servir comme outil, etc... En agissant ainsi, on donne la priorité à notre vie limitée ("bios") sur le cycle naturel illimité ("zoè") dans lequel nous nous perdons. En bref, faire ce que faisaient déjà les Grecs (et d'autres).

- Quelle est l'essence de l'homme? Nous n'en savons rien car, malgré l'invention du télescope par Galilée, il nous est impossible de le voir de l'extérieur pour ce qu'il est, un Qui.