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vendredi 5 septembre 2008

Anselm Kiefer, par Daniel Arasse

On pourra lire une version complète du textes qui suit avec de nombreux liens issus du livre de Daniel Arasse sur cette page.
La précision pourrait être inutile, mais elle ne l'est pas : Kiefer est allemand. En d'autres termes : il n'est pas juif. Il fallait que cette évidence fut dite pour qu'il puisse reconnaître une dette de l'Allemagne, dont il ne rejette pas le poids. C'est à lui de réparer, à personne d'autre. C'est à lui de prouver que, après l'entreprise esthétique des nazis, il est encore possible d'être un artiste allemand, à condition d'avoir le courage de s'expliquer avec les spectres et d'accomplir un dur travail de deuil et de remémoration. L'Allemagne est irréductible à ses mythes, son devenir est hétérogène. Elle doit exhiber les contradictions qui sont en elle, y compris sa propre culture judéo-cabalistique -, encore vivante et bien présente, malgré les crimes, l'effondrement du sens et la déréliction ambiante. Elle doit s'incorporer des personnages étrangers comme Lilith. A ce prix seulement, l'Allemagne sera réunifiée.
Kiefer a commencé par recueillir des traces de sang, mais cela ne suffit pas pour faire son deuil de tous ces morts. Il faut des mots, des textes, des poèmes, des concepts, des livres, des bâtiments, des monuments, des ruines, des masses de plomb ou de béton armé, des matériaux disparates qui mettent l'oeuvre en mouvement. Ces constructions théatrales, faites de rappels et d'allusions provoquent un choc. La blonde Margarete et la brune Sulamith s'y croisent. Elles mettent en ruine la représentation classique, mais restaurent une aura d'un nouveau genre, ancrée dans l'art du XXème siècle où prospère la présence réelle.
Finalement l'ensemble du projet apparaît comme irréductiblement allemand. Si la culture juive est invoquée, c'est comme monument ou idole, pas comme expérience vivante.

mercredi 3 septembre 2008

Préjugés, devant la loi (Jacques Derrida, texte publié en 1985)

J'ai fini l'analyse de l'intervention que Derrida a faite en août 1982 lors de la décade de Cerisy-la-Salle consacrée à Jean-François Lyotard. Analysant un texte de Kafka, Devant la loi, Derrida évoque le jugement, la loi, et aussi l'oeuvre. Qu'est-ce qu'une oeuvre? Elle se tient devant la loi et la subvertit.
Voici les propositions issues de ce texte :
- La loi de la loi, c'est qu'il ne faut pas approcher, représenter ni pénétrer l'origine de la différance
- A l'origine de la loi, rien n'a lieu, rien de nouveau n'arrive, il est impossible de raconter l'événement qui inaugure l'interdit
- L'interdiction de la loi n'est pas une contrainte impérative mais une différance : "je t'ordonne de ne pas venir jusqu'à moi"
- La loi est un rien qui, dans un lieu vide, diffère incessamment l'accès à soi
- La loi de la loi, c'est qu'elle doit être sans histoire, sans genèse, sans origine, sans dérivation possible, elle ne doit donner lieu à aucun récit
- Ce qui fait oeuvre est une perturbation dans le système normal de la référence, en rapport avec les limites et le jeu du cadrage
- L'oeuvre surgit et reste toujours devant la loi
- A la question "Comment juger?", l'absence de critères est la loi, car s'il y avait des critères, il n'y aurait pas jugement mais savoir, technique, code ou simulacre de décision
- Nous sommes a priori tenus de répondre devant la loi des préjugés que nous sommes
- Pour distinguer un récit fictif d'une "réalité", il n'y a pas d'autre critère que le consensus ou la loi qui garantit la signature d'un "auteur"
- Intituler un texte est un événement, un coup de force qui lui donne sa loi et en fait une institution
- Dans le rapport à la loi comme dans le rapport sexuel, le Tabernacle reste vide et la dissémination fatale
- Un titre est le nom propre d'une oeuvre ou d'un texte qui, en étant dedans et dehors, garantit conventionnellement son identité
- Le paradoxe du post-moderne, c'est que, bien que le jugement n'ait ni fondement ni critères, nous ne pouvons pas nous en débarrasser