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mardi 3 juillet 2012

L'oeuvre ouverte, d'Umberto Eco (texte de 1962, traduit en français en 1965)

  Dans ce texte écrit alors qu'il n'était âgé que de 30 ans, Umberto Eco parle d'oeuvre ouverte par référence à l'oeuvre contemporaine, pour l'opposer à un autre type d'oeuvre, qu'il qualifie de classique. Alors que dans l'oeuvre classique, la signification des figures est étroitement déterminée, l'oeuvre ouverte ne peut jamais être réduite à une seule interprétation. En fonction de sa vision du monde, chaque lecteur, auditeur ou spectateur invente sa propre interprétation. Tout est fait pour que l'oeuvre échappe à la norme et simule l'attente du destinataire, son plaisir, ses tentatives d'explication. Il faut qu'elle soit une réserve inépuisable de significations, qu'elle mette en question les valeurs établies et les certitudes. L'oeuvre elle-même reste incomplète, le spectateur étant sollicité pour collaborer à son achèvement. Avantage : la complexité de l'oeuvre, sa richesse de significations (cf Mallarmé, Joyce, Kafka). Inconvénient : elle risque de se noyer dans le désordre ou le bruit. Sans doute y a-t-il toujours eu des oeuvres ouvertes (de Dante à Shakespeare), mais ce qui caractérise l'oeuvre contemporaine, c'est son intention explicite de porter l'ouverture à son extrême limite. Il faut qu'elle porte un message ambigu, une pluralité de signifiés. Elle s'inspire pour cela de la science - dont le rapport au réel évolue parallèlement, en laissant voir l'indistinct, l'indéterminé, le discontinu ou l'aléatoire.

  Dans l'art informel, le mouvement n'est plus extérieur à l'oeuvre, mais intérieur. Les éléments ne sont pas reliés par des formes, mais par des constellations instables. On multiplie les perspectives pour favoriser les métamorphoses. Plus l'oeuvre est désordonnée, insolite, inusuelle, plus elle contient d'information. A certaines conditions (1) ne pas altérer l'irréductible singularité de l'oeuvre, (2) ne pas sombrer dans le chaos, tout ce qui échappe à la compréhension peut favoriser la jouissance esthétique. Le spectateur, attiré par les situations qui ouvrent ses possibilités de choix, est invité à une reconstruction continuelle. Il doit filtrer le matériau, l'organiser, pour le rendre intelligible.