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vendredi 28 décembre 2007

Khôra terminé

J'ai terminé l'idixation du texte de Derrida intitulé Khôra, publié en 1993. On trouve ici la liste des propositions correspondantes.

mercredi 26 décembre 2007

A propos de Soutine et d'un commentaire de Marc Restellini

A l'occasion de l'exposition de la Pinacothèque de Paris qui se terminera en janvier 2008, j'ai ouvert un nouveau noeud du site idixa.net : Haïm Soutine. J'en profite pour faire un commentaire sur l'un des panneaux que le commissaire de l'exposition, Marc Restellini, a fait afficher dans l'une des salles de l'exposition. Ce panneau, qui pose la question : Soutine est-il un artiste juif? est reproduit à cette adresse.

Marc Restellini part d'un paradoxe. Pourquoi Soutine serait-il qualifié d'artiste juif, alors qu'il n'avait aucune pratique religieuse, aucune conviction nationaliste et qu'en outre rien, dans le contenu de ses oeuvres, ne semble se rapporter au judaïsme? Restellini prend ce rien à la lettre. Si rien dans l'oeuvre de Soutine ne se rapporte apparemment au judaïsme, c'est qu'il n'y a pas de rapport.

Pour lui répondre, je voudrais d'abord rappeler une phrase célèbre de Freud à propos de son propre judaïsme : Qu'est-ce qui est encore juif chez celui qui a renoncé à tout le patrimoine de ses pères? Beaucoup de choses, et probablement l'essentiel. Si l'on compare le cas de Soutine à celui de Freud, le point de vue de Marc Restellini reviendrait à soutenir la thèse suivante : Sigmund Freud est un psychologue autrichien qui n'a rien à voir avec le judaïsme, car il n'avait pas de pratique religieuse et ne soutenait aucun mouvement nationaliste. Il est clair que dans le cas de Freud, cette thèse est insoutenable. D'abord Freud s'est largement exprimé sur le sujet, et s'est déclaré Juif sans ambiguité. Ensuite, des travaux innombrables prouvent sa filiation avec la pensée talmudique. Ce n'est pas un hasard s'il a commencé par interpréter les rêves, les lapsus et les blagues.

En ce qui concerne Soutine, qui n'a pas laissé d'écrits à ce sujet, est-elle défendable?

A vouloir trop prouver que le judaïsme de Soutine n'a aucun rapport avec sa peinture, Restellini tombe dans l'amalgame. Selon lui, les juifs orthodoxes et les antisémites virulents convergent. En quoi? Par leur condamnation de la peinture de Soutine. Que les motifs de cette condamnation soient radicalement divergents : entre ceux qui attaquent Soutine car il serait incapable de représenter "correctement" le monde (les antisémites) et ceux qui s'opposent par principe à toute représentation de ce qui est à l'image de Dieu (les rabbins), il y a pourtant un sérieux écart. Le reproche est exactement inverse! Si cet écart ne compte pas pour M. Restellini, c'est parce qu'il tient surtout à faire une démonstration politique. Si Soutine est attaqué sur sa droite et sur sa gauche, c'est qu'il est au milieu, donc il est des nôtres. Voilà ce qu'il faut à présent démontrer : que Soutine est un artiste français, bien de chez nous, laïc de préférence, inspiré surtout par nos maîtres et accessoirement par quelques grands artistes voisins (Rembrandt) devenus des classiques. Rude tâche! Car Soutine n'entre dans aucune case, et certainement pas dans la case de l'art français.

En quoi Soutine fait-il référence aux artistes classiques? Si l'on en croit M. Restellini, c'est par son iconographie, c'est-à-dire ses motifs (exemple : il a emprunté le motif de la raie à Chardin et celui de la carcasse de boeuf à Rembrandt). Analyser une oeuvre par l'iconographie est une démarche quelque peu obsolète que la plupart des historiens d'art ont abandonnée depuis quelques décennies, et la manière dont Soutine traite picturalement la carcasse de boeuf ou la raie est visiblement éloignée de celle de Rembrandt ou de Chardin. Cela ne veut pas dire qu'il n'ait pas été influencé, bien au contraire, mais ce qui le distingue d'eux est quand même plus impressionnant que ce qui l'en rapproche. Tout démontre chez lui un rapport quasiment fusionnel avec la viande. Il ne cherche pas à représenter un objet de la vie courante, il inscrit sur la toile un rapport au monde qui relève d'une participation, d'une sorte d'adhésion aux choses très étrangère à l'art français.

S'il est un point commun entre Cézanne et Soutine, c'est qu'ils font tous deux émerger les choses dans un geste presque mystique. La religiosité de Cézanne, bien connue de ses biographes, rejoint l'athéisme supposé de Soutine (supposé car, pour être honnête, on ignore tout de ses convictions religieuses). Pour eux deux, la peinture est un acte de création qui fait émerger les choses et touche en profondeur notre rapport au monde.

D'accord direz-vous, mais en quoi sa peinture est-elle juive? Voici quelques pistes :
- le monde de Soutine n'a pas d'assise. Il est flottant, instable, comme celui de Chagall. Les personnages ne semblent jamais complètement fixés au sol : c'est comme s'ils allaient s'envoler. Rien n'est immobile. Un souffle parcourt les rues du moindre village.
- en permanence, le monde est menacé par un chaos, une apocalypse. Il n'y a ni cadre, ni ligne droite, ni construction méthodique, ni bord, ni perspective, ni scène théatrale (un vécu qui ressemble plus à celui du hassid qu'à celui du paysan de la Beauce).
- indifférence complète à l'égard de la beauté des corps (difficile d'être à la fois grec et juif) et de la nature. Si l'alliance entre l'homme et l'univers est rompue, plus aucune loi ne s'applique.
- attirance pour tout ce qui est auditif : les oreilles dissymétriques, déformées, les hommes en prière qui emportent avec eux l'espace environnant, la force de l'invocation qui transfigure les mondes.
- les plaies ne se referment jamais. Elles restent ouvertes, comme Derrida le disait de la circoncision.
- les platanes ou d'autres arbres semblent s'enflammer tous seuls comme des buissons ardents.
- la couleur a une vie propre, émotionnelle, d'une façon qui peut être comparée à l'art de Rothko (s'il y a sur ce point une influence française, c'est celle des Fauves et de ses amis de l'Ecole de Paris plutôt que celle de Corot!).

Soutine était un exilé. Il s'est toujours vécu comme errant, étranger. S'il ne s'est pas occupé du sionisme, c'est parce qu'il ne voulait s'enfermer dans aucune doctrine ni communauté. Mais cela ne prouve ni qu'il ne se sentait pas juif (ce qui serait étrange pour un homme dont presque tous les amis étaient juifs, y compris d'ailleurs sa compagne qui, contrairement à ce que dit Restellini, n'était pas [seulement] allemande, mais [surtout] juive, elle aussi), ni que sa peinture n'ait pas été influencée par sa judéité. Bien entendu la police de Vichy ne s'y est pas trompée, car elle l'a pourchassé (quoiqu'en dise Restellini).

L'oeuvre de Soutine, qui a cherché à s'émanciper de son shtetl natal, démontre au contraire que l'obscure et incertaine expérience de l'héritage juif est inarrêtable : au moment même où disparaît l'art judaïque traditionnel lié au culte, apparaît un art d'essence juive, mais non lié à la religion.

mercredi 21 novembre 2007

L'origine du monde, Agnès Thurnauer

J'ai ajouté sur mon site, avec beaucoup de plaisir, ce tableau d'Agnès Thurnauer, dont j'avais suivi quelques étapes précédentes décrites sur cette page. Je reporte à plus tard une analyse plus détaillée de ce tableau, mais il est bien là.

lundi 19 novembre 2007

Sur les images de livres

Aujourd'hui, j'ai travaillé pour les libraires. Facteur déclenchant : quelqu'un a acheté un livre par l'intermédiaire de mon site (gain virtuel : 0,50 c d'€)! C'est le premier, un événement (il s'agit du livre de Derrida, Schibboleth). Ça m'a motivé pour faire quelque chose dont j'avais l'intention depuis longtemps : un peu de programmation pour qu'apparaisse la page de garde du livre. Il suffit de cliquer dessus pour aboutir directement chez Amazon (désolé pour les autres libraires, on peut pas tout faire à la fois). Celui que j'ai fait en premier n'est pas Schibboleth, mais La Dissémination. Car tout le projet idixien n'a qu'un but : défendre les livres.

Malaise dans l'esthétique (Jacques Rancière)

Bonjour à tout lecteur éventuel. Je suis engagé dans un vaste projet (le projet Idixa) autour du thème "Jacques Derrida et l'art". Il s'agit de décomposer la pensée de Jacques Derrida, mais aussi celles de nombreux autres auteurs (que j'appelle des sources), en propositions qui s'articulent entre elles pour faire sens.

Dans ce blog, je rends compte de ce projet au fur et à mesure de son avancement.

Aujourd'hui, je livre le "sommaire" qui renvoie aux propositions tirées du livre de Jacques Rancière (Galilée, 2004). Ce sommaire est très condensé. En cliquant à cette adresse, on peut y accéder avec tous les liens qui conduisent aux propositions elles-mêmes.

Le régime actuel de l'art commence avec la fin de l'ère de la mimesis. Jacques Rancière l'appelle régime esthétique. L'art contemporain, aussi impur que le cinéma ou le collage, y remplace la peinture comme forme de visibilité. Dans ce partage du sensible, l'oeuvre, supposée autonome, affronte l'altérité de la matière sensible et aussi la dissonance du monde. L'art se veut porteur d'une radicalité hétérogène qui déchire l'ordinaire de l'expérience. Mais il se heurte à une antinomie : affirmer en même temps la vie dans son altérité et le propre de l'art, l'égalité de tous et la spécificité de l'émotion sensible, l'universalité et le libre jeu esthétique. Incapable de dépasser cette antinomie, il se rabat sur la modestie ou le constat désenchanté.

Quand il s'éloigne de l'expérience sensible, l'art se veut politique. Changeant de scène, il recompose les hétérogènes ou les mélange dans des micro-politiques ou des prises de parole. Renonçant à l'alliance traditionnelle des avant-gardes avec la radicalité politique, il croit surplomber le dissensus comme une métapolitique. Mais il ne fait que multiplier les signes.

Le récent tournant éthique, qui témoigne d'une catastrophe irrémédiable, tend à réduire toute appartenance à l'exercice des droits de l'homme. En exigeant des réponses absolues, au-delà du droit, à cet événement décisif qu'est (pour lui) la shoah, il n'arrive à instaurer que de nouvelles normes de ce qu'il appelle l'irreprésentable.