Marc Crépon s'interroge. Que peut-on espérer? Il n'y a pas de réponse claire, explicite, mais une réponse indirecte, énigmatique, à traduire. On peut espérer traduire, dit-il. Mais qu'est-ce que ça change? En quoi le fait de passer d'une langue à une autre apporterait-il de l'espoir? Il faut ici s'appuyer sur les trois auteurs mentionnés : Walter Benjamin, Franz Rosenzweig et Martin Heidegger plus quelques autres cités dans le corps du texte (comme Swift ou Kafka). Il faut traduire car le langage promet une autre langue qui, contrairement à la nôtre, ne se laissera approprier par aucune communauté, loi ou grammaire. Qu'est-ce que c'est que cette langue? S'agit-il de la langue sacrée? Pas exactement. De la part cachée, mystérieuse, que révèle l'obscurité de la poésie? Un peu plus, car il lui arrive de s'écarter du sens courant, de cultiver le mystère des mots. Il faut pour cela avoir foi dans la langue, confiance dans les transformations du langage et dans les promesses de la parole, il faut s'ouvrir à ses rivages, ses bornes, accueillir avec hospitalité l'étranger en s'exposant soi-même et sans poser de conditions. Le but n'est pas de maîtriser le langage, mais de se retirer devant lui.
Les guerres et les crimes du 20ème siècle ont été précédés par une dégradation du langage, un appauvrissement qui les réduisait au fétiche d'une identité nationale.
Il y a une dignité du langage, à ne pas confondre avec sa sacralisation. Ce qu'il promet n'est pas une philosophie nationale susceptible de fonder une communauté en liant un peuple supposé élu au destin d'une langue. Il n'y a pas de mission sacrée, mais une tâche orientée vers une toute autre direction : déjouer les appropriations, ne pas se laisser assimiler comme l'ont fait certains mouvements qui ont renoncé à leur impulsion initiale (le surréalisme).
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