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mardi 28 juin 2011

Derrida, le virtuel

On trouvera la forme développée de ce texte (avec les propositions qui, dans l'Orloeuvre, lui sont associées), à cette adresse.

La logique classique, qui oppose l'actuel au virtuel, la réalité à la virtualité, a été battue en brèche dès la fin du 19ème siècle, avec l'émergence de la photographie et de la psychanalyse. Quel est le genre de vérité qui se révèle dans une photographie? Si l'on reprend les termes de Roland Barthes, on parlera du Référent ou du Ça a été. La photo montre ce qui a été, mais Ce qui a été, par définition, n'est pas présent. C'est une reproduction, une marque, un spectre, un tenant-lieu de réel. Ce qui nous est montré en temps réel [comme on dit] sur les écrans de télévision ou d'Internet est-il une réalité? Non, car il faut toute une chaîne de machines, de fabrication d'images, de décisions et de transmissions pour le faire apparaître. C'est pourtant ce qui passe pour une réalité, ce à quoi l'on croit, ce qui ne cesse de se multiplier aujourd'hui. Dans le vocabulaire de Jacques Derrida, artefactualité se confond avec actuvirtualité : tout se qui se diffuse par les médias suppose un présent actuel, qui n'est en fait qu'un supplément prothétique, un substitut (ou suppléant) de réalité. Il en résulte une nouvelle expérience du lieu, une autre topologie qui affecte [entre autres] notre rapport à l'histoire et au politique.
Toute reproduction technique implique un effet de virtualisation, une croyance sur laquelle repose le crédit que nous accordons à l'image. D'une part le présent vivant, qui survit en tant qu'image, n'est qu'un enregistrement, un spectre déjà mort; mais d'autre part il y a dans le virtuel, comme dans l'imagination selon Jean-Jacques Rousseau, une puissance active, cachée, indéterminée, une réserve [de différance]. Par un mouvement de supplémentarité, le virtuel rapproche deux ordres discontinus [vie et mort, nature et société], il renvoie à l'hétérogénéité, à l'altérité. En allant au-delà de ces effets, on peut les réduire à la trace, les déconstruire.
Aujourd'hui, tout document est contaminé par cette ambiguité. C'est une transformation profonde qui affecte notre rapport au passé, à l'histoire et jusqu'au concept d'archive. L'objet d'étude n'est pas séparé de l'historien. Il est son interlocuteur virtuel. L'espace public en est bouleversé. La mémoire distingue de moins en moins entre l'intériorité et l'extériorité. Toutes les expériences, les discours, les savoirs, les cultures, peuvent en être redéployés - mais ce fantasme-là, qui était celui de James Joyce, peut finit par se dissoudre dans un grand rire.

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