On trouvera ici des propositions en relation avec ce texte fondamental de Rosalind Krauss.
Dans sa préface, Hubert Damisch situe ce livre dans le prolongement de deux autres classiques de la photographie : La Chambre claire de Roland Barthes (1980), et la Petite histoire de la photographie de Walter Benjamin (1931). Le Photographique prolonge ces deux grands devanciers en élargissant le propos. Il ne s'agit pas seulement d'analyser la photographie ou les effets de la photographie, il s'agit de définir un objet théorique, un paradigme qui affecte tout notre rapport contemporain à l'image. Ce paradigme est double, écartelé entre ce qui se dit au début du livre et ce qui se dit à la fin. D'une part, la photographie est une trace du réel, un indice. Mais d'autre part, c'est une copie de copie, une fausse copie, un simulacre. Comment articuler ces deux dimensions?
Une photographie n'est pas un signe iconique (une représentation); c'est un autre genre de signe, un signe indiciel produit par un appareil (une machine, un automatisme). Ce qui fait irruption avec elle (et qui n'a pas complètement épuisé son caractère d'événement) est le fait que la lumière puisse s'écrire directement, qu'elle puisse laisser une trace, une archive, de manière quasi automatique, par l'intervention d'une sorte de main prothétique, indépendamment de l'intervention d'un sujet. Cette dimension d'automatisme qui relativise des notions classiques comme "artiste", "auteur", "oeuvre", "style" lui donne une crédibilité particulière. Ce qui apparaît à la vue semble être une émanation directe, presque magique, du réel.
Mais la photographie n'est jamais purement indicielle. Si elle n'était qu'une inscription directe du réel, elle resterait vide de sens. Elle ne devient intelligible que parce que, en plus, elle est en rapport avec des discours. Du daguerréotype, au calotype ou aux vues stéréoscopiques, elle s'est toujours dissociée du réel en se combinant avec des règles de composition issues de la tradition, en faisant appel à des légendes, des textes, des signes complémentaires ou des suppléments imaginaires qui s'ajoutent à l'image brute. Elle est aussi une écriture, qui fait proliférer ce que Jacques Derrida appelle l'espacement : écarts, redoublements et dédoublements, réversions, photomontages, surimpositions, collages, artefacts.
Ce qui a émergé avec la photographie dans les années 1830 - cette région de l'espace dont le sujet est exclu - reste ineffaçable. C'est un bouleversement qui s'est étendu à tous les champs visuels, et au-delà, jusqu'au modernisme et à la crise actuelle de la représentation. Pour se dissocier de la photographie, l'art devient autonome, les oeuvres s'auto-définissent. Les processus déclenchés par la photographie sont inarrêtables : perte de la maîtrise visuelle, délitement des frontières, substitutions, mises en abyme, fétichisation du corps. Les catégories sont brouillées, les chaînes référentielles ne trouvent plus de limites. On parle d'imposture. Les pratiques picturales et sculpturales se redistribuent, du surréalisme (qui privilégie la photographie pour illustrer sa théorie de l'automatisme psychique) à Marcel Duchamp (et son Grand Verre qui ressemble à une plaque photographique où le sujet se perçoit comme double et clivé), Pollock, au Body Art, au Land Art ou au postmodernisme.
Malgré les efforts pour les rapprocher dans l'espace d'exposition, le discours photographique reste étranger à celui de l'esthétique ou de l'art. Il l'était à l'époque d'Atget, et l'est toujours avec les stéréotypes de la photographie d'amateur ou la vidéo moderne, qui joue sur les paradoxes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire