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jeudi 15 septembre 2011

Troubles dans le genre (Judith Butler, 1990)

  On trouvera ici quelques propositions issues de l'analyse de ce livre qui dialogue avec Freud et quelques auteurs de langue française (Simone de Beauvoir, Monique Wittig, Julia Kristeva, Michel Foucault, Jacques Lacan), un livre dont l'impact sur la scène américaine a été spectaculaire, mais qui n'a été traduit en français que quinze après sa parution (après beaucoup d'autres langues). Pourquoi? Sans doute y avait-il quelque résistance ou réticence à cette liberté de pensée, à cette déconstruction active d'une hétérosexualité obligatoire qu'une lecture rapide peut assimiler à la cohérence d'un symbolique solidement assis sur la binarité du langage et l'interdiction de l'inceste. Pour Judith Butler, entre les différentes composantes de cette hétérosexualité : le sexe (anatomique, biologique, physique), le genre (la construction culturelle qui oppose deux sexes distincts et opposés), et aussi le désir ou les pratiques sexuelles, il faut faire le constat d'une discontinuité radicale. C'est sa thèse de base, son postulat connu aujourd'hui sous le nom de théorie des genres. On peut toujours croire en l'homme et en la femme comme entités distinctes, substances séparées, étrangères, mais c'est une fiction, une construction du pouvoir dominant (mâle), qui voudrait imposer l'hétérosexualité obligatoire comme seule norme et seule loi.
Les normes de genre et les catégories dominantes sont incontournables dans la formation des personnalités et la vie quotidienne. Voici un homme, une femme, des corps asymétriques, genrés, des modèles de fantasmes et de désirs. Erigées en fétiches, les "femmes" sont assignées à une économie sexuelle qui limite la diversité de leur vie pulsionnelle et les force à la mascarade. En rentrant dans ce jeu, elles contribuent à la production et à la reproduction d'un corps féminin qui incarne la loi paternelle. Mais la reconnaissance et la stabilité qu'elles peuvent y trouver a un prix : la renonciation aux objets homosexuels qui ont prévalu pendant leur petite enfance (et au-delà). En participant à la comédie hétérosexuelle, elles acceptent la prohibition de leurs attachements antérieurs, elles sombrent dans une sorte de mélancolie. Malgré leurs efforts, elles n'arriveront jamais, elles non plus, à satisfaire à la norme.
Si le genre n'est ni anatomique, ni réductible à la loi paternelle, alors d'où vient-il? Judith Butler s'appuie sur un concept d'origine linguistique, celui d'acte performatif. Comme disait John L. Austin à propos des actes de parole (speech acts), Dire, c'est faire. Ici le Dire est un ensemble de gestes et de désirs qui organisent l'identité de chacun. Un corps n'a pas de statut ontologique antérieur à ces gestes. Son style est particulier, spécifique, marqué par des identifications singulières. Certes il est investi par les normes culturelles, sociales, mais il est aussi transfiguré par l'imagination. La position de genre dans laquelle une personne s'inscrit est construite en fonction d'une histoire, d'une performance.
Ce qu'on appelle la femme n'est pas une catégorie stable et homogène. C'est un artefact, comme le révèlent certains gays et lesbiennes par leurs pastiches. Les féministes comme mouvement politique ne peuvent pas s'appuyer uniquement sur cette catégorie. Il faut qu'elles acceptent le fait que le désir est fait de déplacements, de substitutions. Elles ne peuvent pas faire autrement que de reconnaître la loi qui les positionne comme femmes et a modelé leurs désirs, mais elles peuvent la retourner, la subvertir.

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