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mardi 22 novembre 2011

L'université sans condition (Jacques Derrida, conférence de 1998 publiée en 2001)

  [On trouvera ici quelques propositions relatives à ce texte où Jacques Derrida livre - en tant que professeur et enseignant - sa profession de foi à lui, qui va bien au-delà de ce statut].

  Arrivé au dernier point de la quatrième et dernière partie, il écrit : "Au septième point, qui n'est pas le septième jour, j'arrive enfin maintenant. Ou plutôt : je laisse peut-être arriver à la fin, maintenant (...)". Il ne s'agit pas de se reposer, mais de laisser arriver, quoi? ce qui "révolutionne, bouleverse et met en déroute l'autorité". Quelle autorité? Celle du professeur c'est-à-dire la sienne, Jacques Derrida. Après ce parcours dans les tâches et les professions de foi de l'université, il en arrive à une certaine forme de retrait, qu'il définit comme un au-delà du performatif. C'est ce point d'aboutissement énigmatique qu'il qualifie d'oeuvre. Car on peut lire ce texte comme un questionnement et une réponse sur le concept d'oeuvre. Questionnement qui se fait particulièrement aigu à la fin du livre, et réponse qui prend la forme du livre lui-même, en tant que, précisément, il est l'un des éléments de l'oeuvre dont il s'agit.

  Qu'est-ce qu'un professeur? 1/ Quelqu'un qui enseigne un savoir (le constatif de John L. Austin) 2/ Quelqu'un qui s'engage, au nom de la vérité, dans une profession de foi (c'est un acte de parole, un performatif, comme l'a génialement découvert le même John L. Austin) et 3/ Eventuellement quelqu'un qui, par ses oeuvres, peut faire arriver un certain événement, dont la force est irréductible au performatif austinien. Qu'est-ce que l'université? 1/ Un lieu de travail bien défini, où les connaissances sont transmises et enrichies, 2/ Un lieu moins défini où se profèrent des actes de parole 3/ Un lieu de pensée et d'inventivité, où la frontière qui est supposée séparer le constatif du performatif se déconstruit.
Et tout ceci ne pourrait pas arriver si nous n'étions pas à l'époque où nous sommes, et si Derrida ne parlait pas depuis ce lieu particulier, l'université, où s'articulent la foi et le savoir, ce lieu auquel la tradition humaniste attribue par principe, une liberté inconditionnelle de questionnement, de proposition et de déconstruction, ce lieu qui est aujourd'hui affecté, autant et plus que d'autres, par un bouleversement majeur. Que se passe-t-il? Certains annoncent la fin du travail et son remplacement par d'autres genres d'activité déracinantes et délocalisantes. Avec l'arrivée d'un cyberespace mondial, les territoires de l'université, ses frontières, ses lieux de discussion, de communication et d'archivage, tout cela change radicalement. L'université est désorganisée, le statut du professeur change. Doit-il encore travailler dans le carcan des genres et des champs académiques? Comment peut-il engager sa responsabilité? Doit-il travailler dans la continuité des Humanités traditionnelles et de leurs promesses, ou prendre appui sur l'analyse critique pour contribuer à la déconstruction du temps, du travail, à l'irruption possible d'un nouveau concept de l'homme?

  Il faut admettre que l'autonomie ou l'indépendance de l'université n'impliquent pas sa souveraineté. Le professeur témoigne de son savoir. C'est un acte de parole, un performatif, mais pas encore un événement digne de ce nom. Il faut pour cela dépasser le "comme si", cette dimension de simulacre qui caractérise ce genre d'acte. L'oeuvre au sens de Derrida, qui fait arriver quelque chose au concept de vérité et d'humanité, n'est pas maîtrisable. Elle est débordée par ce qui vient.

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