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mercredi 31 octobre 2012

Zakhor, histoire juive et mémoire juive (Yosef Hayim Yerushalmi)

  Selon ce livre de Yosef Hayim Yerushalmi, paru en anglais en 1982, traduit en français dès 1984 et dont l'influence a été considérable, la relation du judaïsme à l'histoire est doublement paradoxale.

1. D'une part, l'impératif biblique "Souviens-toi!" (Zakhor) ne souffre aucune exception. Il faut se souvenir, ne rien oublier, c'est un commandement absolu. Le Dieu d'Israël lui-même ne s'est révélé qu'historiquement. Ce n'est pas un Dieu mythique ni archétypal, c'est une volonté qui intervient dans certaines circonstances et semble réagir en fonction des réponses d'hommes doués de libre arbitre. Sa principale injonction est : "Souvenez-vous que vous étiez esclaves au pays d'Egypte!". On ne cesse de la répéter et de la rappeler. Mais d'autre part, depuis la fin de la période biblique, les Juifs ne se sont presque jamais préoccupés de garder le souvenir des événements dont ils étaient les acteurs, les victimes ou les témoins. Les rabbins qui ont rédigé le Talmud entre 100 et 500 ap J-C ont multiplié les anachronismes, et semblent s'être désinteréssés de leur propre histoire. Les Juifs du Moyen Age ont été capables d'innover dans de nombreux domaines (philosophie, linguistique, poésie), mais pour ce qui concerne la transmission de la mémoire, ils ont continué à privilégier l'interprétation du texte, le rite et la liturgie (prières, poèmes ou listes de maîtres ou de martyrs) plutôt que les chroniques ou les récits. Chacun s'identifiait aux personnages bibliques, se situait dans le temps en fonction du sens de l'histoire transmis par la tradition et de l'espérance messianique, mais personne ne pensait à raconter des faits historiques (historiographie). Les événements nouveaux n'étaient pas interprétés en fonction de leurs causes ou de leurs circonstances présentes, mais en tant que renouvellement du défi que Dieu avait lancé aux Hébreux. L'absence d'historiographie juive ne s'explique donc pas par l'inexistence d'un Etat, d'un pouvoir politique ou de chroniqueurs royaux comme certains l'ont affirmé, mais par les mécanismes mêmes de la mémoire juive.

2. D'une part la mémoire juive traditionnelle insiste sur le caractère unique du peuple juif. Cette unicité fondée sur l'alliance avec Dieu est sans cesse rappelée. C'est elle qui justifie l'idée d'un "sens" de l'histoire, qui est une des innovations principales du récit biblique. Mais d'autre part, raconter l'histoire du peuple juif de manière neutre, au plus près possible des faits, revient à nier cette unicité - c'est-à-dire en définitive à nier l'objet même de l'étude.

Cet état de fait a changé une première fois après l'expulsion d'Espagne en 1492. On compte plusieurs tentatives majeures de récit historique dans les décennies qui ont suivi, mais ces tentatives n'ont pas eu de suite. Jusqu'à début du 19ème siècle, les Juifs ont préféré se référer à la tradition, à la philosophie ou à la Cabale plutôt qu'à l'histoire.

Vers 1820, une rupture s'est produite en Allemagne avec l'émergence de la Science du judaïsme. En adoptant les méthodes modernes de recherche, ces savants rompaient eux-mêmes avec le passé qu'ils exploraient.

Cela pose la question de la place de l'historiographie contemporaine. Comment l'historien juif peut-il se situer par rapport à cela? Selon Yerushalmi, ce n'est pas à lui de proposer de nouveaux mythes nationaux. Il doit choisir ses objets d'étude sans vouloir construire une vision d'ensemble. L'important n'est pas de tout se rappeler, c'est d'analyser les ruptures et les nouveaux commencements de l'histoire juive, y compris ceux qui arrivent aujourd'hui.

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