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jeudi 29 juillet 2010

Derrida, la traduction

Toujours dans la continuité de la lecture des Tours de Babel (1985), j'ai ouvert une page sur Derrida et la traduction.

La voici :

La traduction ne peut qu'échouer, et pourtant il faut traduire. Telle est la tension à laquelle on ne peut se soustraire.

1. Les langues sont hétérogènes, extérieures les unes aux autres. Elles ne peuvent faire sens que dans la langue unique de chacun, son idiome, sa monolangue. Mais cet idiome singulier ne se suffit pas à lui-même. Il y a toujours plus d'une langue : les autres langues, et aussi l'autre langue à l'intérieur d'une certaine langue. Cela vaut pour la langue maternelle, pour la poésie et aussi pour la philosophie.

2. Toute langue, tout texte, demande à être traduit. L'oeuvre nous met en dette : Je dois la traduire, et aussi elle est en dette vis-à-vis de nous : Je ne survis que si l'on me traduit. Ce double endettement commande la loi de la traduction : bien qu'elle soit impossible, elle est nécessaire.

3. Entre un texte et un autre s'instaure un contrat absolument singulier, un contrat double comme la loi. Ce qui est à traduire prend la place d'une écriture sacrée aussi intouchable et imprononçable que le nom de Dieu, une écriture qu'il faut déchirer, comme un hymen, pour que le contrat de mariage-traduction soit consommé - afin de laisser naître un enfant [chaque fois l'hymen se reconstitue, on peut traduire et retraduire]. De même que la loi exige d'être lue et déchiffrée et l'interdit, de même le texte sacré doit être respecté, tout en commandant lui-même la transformation sans laquelle il ne serait rien. Il doit donner naissance à un texte proche de lui et aussi autre chose, une invention, une semence aux résultats imprévisibles.

On trouve la même tension dans le texte biblique. Pour interrompre la construction de la tour de Babel, Yhvh la nomme. En la désignant, dans son unicité, par le mot qui signifie confusion, il ouvre la différance et inaugure une alliance.

Avec Ulysse et Finnegans Wake, Joyce a fabriqué une extraordinaire machine d'écriture qui parle plusieurs langues à la fois. Son texte appelle la traduction dans la langue du lecteur, mais traduire effectivement serait l'effacer. La traduction ne garde pas l'oeuvre intacte. En contribuant à sa survie, elle la transforme. Ainsi le texte de Joyce s'écarte-t-il du savoir académique, classique, qui repose sur la notion d'une traduction sans reste. Il rappelle que deux mots dans une autre langue ne peuvent être traduits que par plus de deux mots.

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[Autres lectures]

La traduction derridéenne s'apparente à la déconstruction. En philosophie, sa tâche n'est pas la transposition d'un système, d'un sens ou d'un signifié, mais l'invention d'un idiome singulier où de nouveaux concepts peuvent faire irruption - à la façon du hidouch hébraïque.

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