On trouvera ici l'analyse orlovienne de ce texte.
En pleine période de persécution nazie, alors que ses livres étaient brûlés sur la place publique, Freud s'est engagé dans la rédaction d'un livre étrange qui ressemblait plus à une attaque contre la tradition juive que contre ses ennemis. Il en a achevé une première rédaction en 1934, mais ne l'a publié, avec beaucoup d'hésitations, qu'en 1938. Qu'est-ce qui l'a conduit à entreprendre cet ouvrage qui a été beaucoup critiqué? Yosef Haym Yerushalmi avance une explication paradoxale : il s'agissait pour lui de répondre (peut-être inconsciemment) à une injonction de son père qui lui avait demandé, dans la dédicace de la bible familiale qu'il lui avait offerte en 1896, d'étudier la torah. Freud devait apporter sa pierre à la lutte contre l'antisémitisme, sans trahir la psychanalyse mais sans trahir non plus ce qui était pour lui l'essence du judaïsme. Tâche impossible sans doute, mais qu'il a affrontée avec courage.
Cet homme qui, au moment de son mariage, refusait toute pratique religieuse, s'est trouvé dans l'obligation d'assumer une appartenance qu'il revendiquait avec fierté, mais sans dissimuler à quel point elle lui semblait énigmatique. Il l'a fait, de manière aussi juive que psychanalytique, en posant deux types de questions.
- Qu'est-ce qu'être juif? C'est quelque chose de miraculeux, inaccessible à toute analyse, . S'il est quasiment impossible d'y renoncer, ce n'est pas pour des raisons religieuses ou mystiques (car on peut être athée et rester juif), mais à cause d'une construction psychique que pour le moment la "science" (psychanalytique) ne réussit pas à saisir par des mots.
- Qui était Moïse? (autre façon de se demander ce que cela signifie d'être juif). Ici la réponse de Freud est radicale et en rupture apparente avec toute la tradition : Moïse aurait été assassiné par les Hébreux. Ce meurtre aurait été, dans un premier temps, oublié, et le monothéisme serait le retour du refoulé de cet acte inavoué. Cette thèse permet à Freud d'expliquer l'antisémitisme : les chrétiens, eux, ont avoué le meurtre. Et Yerushalmi d'ajouter : les chrétiens entretiennent une relation oedipienne avec le judaïsme pour la possession de la mère, c'est-à-dire de la torah.
A ces deux questions, on peut en ajouter une troisième : Qu'est-ce que la psychanalyse? La réponse de Yerushalmi découle des deux précédentes : c'est un judaïsme dépouillé de ses manifestations religieuses, un judaïsme sans Dieu. En pratiquant la psychanalyse, on reste dans l'orbite de la formidable force d'attraction du passé juif. On est à l'abri de la colère de Moïse, que Freud avait repérée dans le Moïse de Michel-Ange.
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